• Karl Popper a pour ainsi dire révolutionné la découverte scientifique en introduisant le concept de la « falsifiabilité ». En effet, si la science avance, c’est grâce à la découverte des erreurs. L’erreur n’est plus vue comme quelque chose de négatif qui symboliserait la faiblesse et l’impuissance humaines ; bien au contraire, elle est une force car elle joue un rôle majeur dans la découverte scientifique. Popper critique la logique inductive car il s’agit d’une pratique illégitime et dépourvue de toute scientificité. Il propose alors un modèle déductiviste. Cependant, si Popper critique l’usage que certains font de l’expérience, il ne critique pas l’expérience, à proprement parler. La force de Popper réside dans le nouveau rôle qu’il fait jouer à l’expérience ; un rôle qui est enfin légitime. L’expérience ne sert pas à prouver une théorie scientifique mais elle sert à découvrir les erreurs. L’expérience est un indicateur d’erreurs et non de vérités. Comme le dit très justement Renée Bouveresse dans Karl Popper ou le rationalisme critique : « Alors que Platon opposait l’épistémè, science réelle et vraie, et la doxa, opinion fluctuante, discours sans fondement, Popper considère la science empirique comme une simple doxa ». Il y a plusieurs points qui méritent de retenir l’attention : qu’est-ce que la falsifiabilité chez Popper et quelles sont les conséquences de son introduction dans la découverte scientifique ? Peut-on caractériser cette conception de pessimiste ou bien au contraire, la nouvelle place de l’erreur dans le champ scientifique ne promet-elle pas de nouveaux horizons ? Nous tenterons de répondre à ces questions en nous appuyant sur son œuvre-maîtresse La logique de la découverte scientifique, publiée pour la première fois à Vienne en 1935, parue en France seulement en 1972.

    I. La démarche de Popper : une démarche originale

         a. La critique de l’induction

         Le chapitre premier de La logique de la découverte scientifique est consacré à « l’examen de certains problèmes fondamentaux ». Il explique qu’il y a un préjugé selon lequel on peut caractériser les sciences empiriques par le fait qu’elles utilisent des méthodes dites inductives. Selon cette conception la logique de la découverte scientifique serait identique à la logique inductive. Cependant, Popper n’est pas d’accord avec cette définition des sciences empiriques et il critique la logique inductive car elle nous fait passer illégitimement d’énoncés singuliers à des énoncés universels. Et Popper pose la question : les inférences inductives sont-elles justifiées ? Dans La connaissance objective, Popper utilise une formule forte : «  l’induction - la formation d’une croyance par répétition – est un mythe ».

         Finalement, en critiquant l’induction, Popper redonne une nouvelle définition de l’hypothèse et de la formation de celle-ci. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, Françoise Armengaud, agrégée de l’université, docteur en philosophie et maître de conférences à l’Université de Rennes, écrit : « La formation d’une hypothèse est un exercice actif et créateur, non un enregistrement passif de régularités données ».  La formation d’une hypothèse est un processus qui fait appel à l’imagination et non à la simple observation. Le scientifique est actif et non passif.

         b. Introduction du concept de « falsifiabilité »

         Popper s’oppose à Carnap pour qui le critère de démarcation est d’abord celui qui permet de distinguer ce qui a du sens et ce qui est non-sens, et la définition de la signification empirique, comme son rapport à la vérification, sera au centre des discussions du Cercle de Vienne. Pour Popper, en revanche, il ne s’agit jamais de démarquer la science afin de « dépasser » ou exclure la métaphysique. Il faut certes un critère de démarcation et il y a une différence entre science et non-science, mais la métaphysique n’est pas du non-sens. Popper « sauve » pour ainsi dire la métaphysique en lui donnant du sens, en lui donnant son sens. Dans son ouvrage, Popper écrit : « La découverte scientifique est impossible si l’on ne possède pas une foi en des idées spéculatives ». Non seulement, la métaphysique est sensée et utile mais elle est également nécessaire à la science. D’ailleurs, c’est dans la lignée de Popper que Lakatos proposera une réhabilitation intégrale de la métaphysique aux côtés de la science dans le cadre des programmes de recherche. Dans la préface de la seconde édition, Popper explique que « les analystes du langage pensent qu’il n’y a pas de problème philosophique authentique ou que les problèmes de philosophie, s’il y en a, concernent l’usage linguistique ou la signification des mots ». Pour Popper, il y a un problème  philosophique qui intéresse tous les hommes qui pensent : la cosmologie.

         Popper va introduire comme critère de démarcation le concept de la falsifiabilité et non celui de la vérifiabilité d’un système. Pour Popper, « les théories scientifiques ne peuvent jamais être tout à fait justifiées ou vérifiées mais elles peuvent néanmoins être soumises à des tests (…) il ne peut y avoir en science d’énoncés ultimes » (chapitre trois). Pour qu’une théorie soit dite falsifiable, elle doit répondre à quatre critères :
    - « Comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système.
    - Recherche de la forme logique de la théorie qui a pour objet de déterminer si celle-ci a les caractéristiques d’une théorie empirique ou scientifique ou si elle est, par exemple, tautologique.
    - Comparaison de la théorie à d’autres théories, dans le but principal de déterminer si elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests
    - Mise à l’épreuve de la théorie en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées ».

         Dans La connaissance objective, Popper écrit : «  Ce que nous sommes capables de déterminer, c’est, au mieux, la fausseté de nos théories ». Il qualifie sa méthode de « méthode critique » car il s’agit d’une « méthode d’essai et d’élimination des erreurs qui consiste à proposer des théories et à les soumettre aux tests les plus rigoureux que nous puissions concevoir ». Tout peut trouver un sens et une place chez Popper car une assertion qui ne peut être soumise à des tests en raison de sa forme logique peut, dans les meilleurs cas, « jouer dans la science le rôle d’un stimulus : elle peut suggérer un problème » (chapitre cinq).

         Lors d’une conférence donnée au Centre Universitaire de Luxembourg, le 19 décembre 2002, à l'invitation de la Société luxembourgeoise de Philosophie, intitulée « L'épistémologie de Sir Karl Popper, est-elle irrésistible ? », Angèle Kremer Marietti, docteur d’État ès-lettres et sciences humaines et membre du Groupe d'Etudes et de Recherches Epistémologiques de Paris, explique comment Popper a concrètement appliqué son concept de falsifiabilité. Historiquement, Popper  a rejeté comme irréfutables donc non scientifiques deux théories célèbres : le marxisme et la psychanalyse. « Popper avait d’abord cru que le marxisme était scientifique parce que Marx avait semblé postuler une théorie prédictive. Cependant, les prévisions de Marx ne se confirmant pas, la théorie supposée scientifique avait dégénéré dans un dogme pseudo-scientifique ». Angèle Kremer Marietti explique que Popper a été frappé par l’esprit critique d’Einstein dont il entendit à Vienne une conférence sur la théorie de la relativité : « à ses yeux, la principale différence, en particulier entre les théories de Freud et d’Einstein tenait au fait que la théorie d'Einstein était risquée, car les conséquences qu’on pouvait en tirer étaient très improbables selon la physique newtonienne dominante ; et, si elles s'avéraient être fausses, la théorie tout entière s’avérerait être fausse : c’est ce que Popper appelait la « falsification » ».

         c. La science : un édifice inachevable

         A la fin de son ouvrage, Popper écrit que la base empirique de la science objective est comme « une construction bâtie sur pilotis au milieu d’un marécage : les pilotis sont enfoncés dans le marécage mais pas jusqu’à la rencontre de quelque base naturelle ou « donnée » et lorsque nous cessons d’essayer de les enfoncer davantage, ce n’est pas parce que nous avons atteint un terrain ferme. Nous nous arrêtons, tout simplement, parce que nous sommes convaincus qu’ils sont assez solides pour supporter l’édifice, du moins provisoirement ». Ainsi, pour Popper, n’y a-t-il rien d’absolu dans la base empirique de la science objective. On pourrait faire un lien ici entre Popper et Kuhn ; en effet, le moment où nous cessons d’enfoncer davantage les pilotis de la maison pourrait correspondre à la « phase paradigmatique » que théorise Kuhn dans La Structure des révolutions scientifiques (1962). Il ira plus loin dans La connaissance objective en disant : « Toutes nos théories restent des suppositions, des conjectures, des hypothèses. Ce qui est au centre, pour Popper, c’est le progrès de la science et non son fondement, il écrit d’ailleurs dans La logique de la découverte scientifique : « Ce qui fait l’homme de science, ce n’est pas la possession de connaissances, d’irréfutables vérités, mais la quête obstinée et audacieusement critique de la vérité ». Pourtant, dans La connaissance objective, Popper se défend de ceux qui l’accusent d’abandonner la recherche de la vérité: « La vérité joue le rôle d’une idée régulatrice. Nous testons pour la vérité, en éliminant la fausseté ». Il écrit plus loin : « L’idée de vérité est donc absolutiste mais il est impossible de prétendre à une certitude absolue : nous sommes des chercheurs de vérité mais nous n’en sommes pas les détenteurs ». La force de Popper, c’est de protéger l’homme, par l’intermédiaire du concept de falsifiabilité, de son dogmatisme et de sa prétention à tout savoir et tout connaître. Renée Bouveresse commente alors dans  Karl Popper ou le rationalisme critique: « Popper prend ainsi acte, avec d’autres, de la faillibilité des sciences empiriques, qu’avait longtemps masqué le succès indiscuté de la théorie newtonienne, parée des prestiges de la certitude, mais que la révolution einsteinienne a mis en évidence (…) ». Le fait que la science soit un édifice inachevé et inachevable rend l’être humain plus humble et donc plus lucide quant à ses théories. Le scientifique ne peut plus se mentir à lui-même. Bouveresse continue plus loin en affirmant qu’avec Popper, « la science n’est pas la possession de la vérité, mais sa recherche : ce qu’il y a de rationnel dans la connaissance réside uniquement dans son caractère dynamique, c’est-à-dire dans sa possibilité de croître. Cette croissance est en droit indéfinie : si elle s’arrêtait un jour, ce ne serait pas parce que la vérité définitive serait atteinte, ce qui n’a pas de sens, mais parce que la méthode critique serait abandonnée. La science étant une partie essentielle du monde et permettant sa transformation, il faut concevoir ce monde lui-même comme en évolution, soumis à un mouvement ne tendant vers aucun terme ultime. Ce qui implique que ce monde doit être conçu comme fondamentalement non déterministe. La méthodologie poppérienne débouche ici sur une ontologie ».

         Le commentaire de Bouveresse sur Popper est très intéressant car il fait de la thèse de Popper quelque chose qui dépasse le monde scientifique et la science. L’être humain face à la science comme édifice achevable et l’être humain face à la science comme édifice inachevable sont complètement différents. Le second va voir le monde autrement ; c’est toute sa conception de l’univers et de lui-même qui va être métamorphosée. C’est en cela que Bouveresse parle d’une « ontologie ». Il est enfin intéressant de noter que ce qui importe le plus aux yeux de Popper, c’est le progrès de la science et non sa fondation. Françoise Armengaud explique qu’il « faut abandonner la métaphore de « l’édifice » de la connaissance tout comme la quête de la certitude et la recherche du point de départ adéquat. Nous sommes bien plutôt « embarqués » et la métaphore la plus apte à décrire notre situation cognitive serait celle qu’offre O. von Neurath : il faut réparer le bateau en pleine mer et au coup par coup ».

    II. Mais une démarche qui peut poser des problèmes

    a.    Le statut de l’expérience

         La démarche de Popper peut en effet poser des problèmes car elle est ambiguë. Popper réhabilite l’expérience en lui redonnant un rôle à jouer dans la découverte scientifique. L’expérience est un instrument utile et nécessaire pour le scientifique car elle sert à déceler les erreurs. Cependant, il est étrange de penser que l’expérience puisse prouver la fausseté d’une théorie mais non la vérité d’une théorie. Si l’expérience a assez de pouvoir pour prouver qu’un système de théorie est faux, on ne voit pas pourquoi elle n’aurait pas assez de pouvoir pour démontrer la vérité d’une théorie. Aussi le rôle donné à l’expérience est-il ambigu car finalement elle a assez de pouvoir pour prouver l’erreur mais pas assez pour prouver la vérité. Cela n’est pas logique car soit l’expérience est considérée comme une preuve légitime (d’erreur ou de fausseté) soit elle n’est pas du tout considérée comme une preuve légitime.

         Dans sa préface au Traité du vide, Pascal nous donne une image intéressante de l’expérience, comme instrument auto correcteur ou preuve auto correctrice. Pour lui, « les sciences doivent être augmentées pour devenir parfaites ». On ne doit jamais cesser d’expérimenter car « les secrets de la nature sont cachés (…), le temps les révèle d’âge en âge ». Ce sont les expériences seules qui nous dévoilent les secrets de la nature et grâce aux nouveaux instruments et à l’addition de nos connaissances à celles des Anciens, les expériences « multiplient continuellement ». Il ne faut jamais cesser d’expérimenter car nous découvrons sans cesse de nouvelles choses, en inventant sans cesse de nouvelles expériences. Pascal prend l’exemple du vide. Les Anciens disaient que « la nature n’en souffrait point » parce que toutes leurs expériences leur avaient toujours fait remarquer qu’elle l’abhorrait. Mais « s‘ils avaient connu de nouvelles expériences, ils auraient pu affirmer son existence ». Ainsi quand les Anciens ont-ils dit que la nature ne souffrait point le vide, ils ont entendu qu’elle n’en souffrait point « dans toutes les expériences qu’ils avaient vues ». Ce point de vue est très intéressant car Pascal réhabilite parfaitement et entièrement l’expérience. L’expérience commet des erreurs mais elle a la capacité plus tard, avec le temps, de se corriger. L’expérience n’est pas fiable mais elle se corrige sans cesse. Popper dénigre d’un coté l’expérience parce qu’elle n’est pas la preuve du vrai mais il la surestime en en faisant la preuve du faux. Il n’y a pas de juste milieu car alors, tout est en excès ; chez Popper, soit l’expérience est trop sous-estimée, soit elle est trop surestimée. Pascal propose une alternative intéressante en expliquant que l’expérience peut être une preuve, du vrai comme du faux car même si elle se trompe et nous trompe, elle sait se corriger et elle nous apprend à nous corriger.  Pascal nous donne une vraie leçon d’optimisme car les fautes passées de l’expérience sont susceptibles d’être corrigées à l’avenir, par l’expérience même. Finalement, avec Pascal, on apprend que si l’expérience est épistémiquement caduque, on voit qu’elle n’est pas épistémologiquement vaine. L’expérience forme l’esprit ; elle nous apprend à être critiques et non pas dogmatiques et à toujours remettre en question nos théories.

         Popper a emprunté ce rôle épistémologique de l’expérience à Pascal car on a avec Popper cette nécessité de se remettre constamment en question, à travers nos théories mais il y a une ambiguïté sur le rôle épistémique qu’il donne à l’expérience.

         b. Une condamnation un peu trop rapide de l’induction

         On peut également reprocher à Popper de condamner un peu trop vite l’induction. En effet, Popper reprend les vieux arguments des philosophes qui l’ont précédé pour exclure le modèle inductiviste de la science. Cependant, avec le philosophe Jean Nicod (1893-1924), il y a eu une révolution dans la manière de concevoir l’induction et il est étrange que Popper ne prenne pas du tout en compte cette nouvelle pensée de l’induction. Il n’en fait même pas allusion dans ses ouvrages. Pour Nicod, si la probabilité de la conclusion est inférieure ou égale à la probabilité des prémisses alors, il y a une certitude absolue du raisonnement. Le raisonnement est nécessaire et universel même si la conclusion n’est que probable. La chose qui importe n’est pas de savoir si la conclusion est une vérité mais si la conclusion est une théorie viable, logiquement affirmable. Si les principes logiques ont été respectés alors le raisonnement est logiquement valide. Finalement, ce qui compte, c’est l’universalité et la nécessité du raisonnement ; et non celles de la conclusion. Une telle révolution dans la logique ne pouvait pas être ignorée par Popper et il est étrange qu’elle lui soit indifférente. Ce qui est intéressant dans la conception de Jean Nicod, c’est que ce qui est réfutable, c’est le mauvais usage que l’on fait de l’induction et non pas l’induction elle-même. De même, c’est l’usage que l’on fait de l’enseignement de l’expérience qui peut être condamné ou non mais l’expérience en elle-même ne peut être condamnée.
       
         D’ailleurs, en ce qui concerne la condamnation poppérienne de l’induction, Angèle Kremer Marietti soulève un point intéressant : la position de Popper relative à l’induction « dépasse largement le problème de l’induction ; en fait, ce qui intéresse Popper dans l’induction, c’est qu’il y voit la possibilité de s’appuyer sur un raisonnement qui n’est pas fiable à 100 pour 100 pour lui permettre de développer une méfiance radicale quant aux théories scientifiques déjà admises, sans compter envers celles qui restent encore à venir. Son enquête sur le problème de l’induction par laquelle a commencé son premier livre a donc dégénéré en un soupçon bien plus grave : il en ressort manifestement que pour lui toute théorie scientifique n’est que conjecture. Il suggère ainsi une incertitude généralisée qui sera reprise par un grand nombre d’épistémologues contemporains et qui portent prétendument sur la question de savoir comment faire pour repérer une théorie meilleure qu’une autre ? ». Popper reviendrait alors au doute cartésien ; doute dont on peut se demander la pertinence au XXième siècle. « La falsification ne crée pas de théorie, elle en détruit plutôt », comme le souligne Angèle Kremer Marietti. Finalement, la méfiance et la critique à l’égard de l’induction et donc à l’égard de « l’expérience positive » (expérience qui vérifie quelque chose ; contrairement à « l’expérience négative » qui réfute quelque chose) nous replongent dans le doute de tout ; situation qui ne peut que détruire la science à long terme. Angèle Kremer Marietti conclut sur ce point : « En fait, le véritable sceptique en matière de théorie de la connaissance n’est pas Hume, mais Popper ! »

         Ainsi peut-on dire que Popper propose un modèle fragile car il exclut trop rapidement l’induction de son système en faisant mine d’ignorer ce que ses prédécesseurs ont écrit à ce propos. Le système poppérien est donc incomplet et le verdict du juge est partial car partiel. Popper condamne l’induction et l’expérience, sans avoir entendu toutes les parties dans ce procès.

         c. La démarche poppérienne : une démarche pessimiste ou optimiste ?

         Il y a chez Popper une certaine ambiguïté  dans son rapport à la vérité. Elle semble ne pas exister ou du moins exister dans un monde qui nous est parallèle et que nous, en tant qu’êtres humains, nous ne pourrons jamais atteindre. Mais en même temps, elle est ce qui motive nos recherches, nos expérimentations, etc…  Finalement, on pourrait déceler chez Popper un certain penchant kantien : la vérité pourrait être une Idée transcendantale et régulatrice qui nous oriente dans nos recherches et que nous sommes obligés d’accepter pour que la science ait un sens.

         La vérité est-elle donc inaccessible ? D’un côté, la démarche poppérienne semble pessimiste. En effet, pour reprendre la comparaison avec Pascal, on voit qu’il n’y a pas de « salut » possible pour l’expérience et pour nos théories. L’expérience est condamnée à n’être qu’une preuve du faux et nos théories ne seront jamais que des hypothèses, sans qu’il y ait un seul espoir, un jour de les voir s’ériger en vérités. La condamnation poppérienne semble irrémédiable. Cependant, on ne peut parler d’une façon absolue d’édifice inachevable quant à la conception de la science que Popper a ; en effet, dans La logique de la découverte scientifique, il écrit que la science « s’achemine plutôt vers le but infini encore qu’accessible de découvrir toujours des problèmes nouveaux, plus profonds et plus généraux, et de soumettre ses réponses, toujours provisoires, à des tests toujours renouvelés et toujours affinés ». Il y a un « but infini » mais ce but est « accessible » ; il y a là une contradiction dans les termes car par définition, ce qui est infini est inaccessible.

         Ainsi, d’un autre côté, on peut voir la conception poppérienne comme une conception optimiste de l’homme et de la science. Dans son ouvrage, Renée Bouveresse tend à nous montrer à quel point Popper réhabilite l’homme et la science en faisant de la science un édifice inachevable. En effet, dans l’introduction de l’ouvrage, Bouveresse écrit que : « quel que soit le résultat d’une telle mise à l’épreuve (l’épreuve de mes théories), je suis gagnant : si ma théorie est réfutée, le nombre de théories possibles qui subsistent est diminué, si elle a résisté à la réfutation, elle gagne en solidité. Critiquer sévèrement, par l’intermédiaire d’une confrontation à l’expérience, les théories que l’on émet, est donc la seule voie qui puisse faire progresser ». Avec la falsifiabilité, le scientifique est gagnant dans tous les cas. Ce qui fait la force et l’originalité de Popper, c’est qu’il réhabilite l’erreur. Bouveresse écrit plus loin: « il est faux de considérer l’erreur comme un scandale : elle est au contraire normale. Popper inverse au fond le sens traditionnel du vieux mythe de la chute de l’homme : selon celui-ci la faillibilité est signe d’une déchéance de l’homme. Dans la perspective poppérienne au contraire, la prise de conscience de la faillibilité est l’acte de naissance de l’homme rationnel. En réalité, c’est au contact de l’erreur que la science peut naître, c’est en tenant compte de ses limites que sa puissance peut s’accroître. Il ne faut pas protéger coûte que coûte nos théories, mais au contraire les soumettre à la critique la plus sévère, en nous rappelant que même une réfutation est un succès ». Avec ce commentaire de Bouveresse, on voit que la démarche poppérienne peut être une démarche optimiste qui réhabilite l’homme tout en lui rappelant ses limites. Comme le roseau pascalien, l’être humain a une grandeur dont il doit être fier et une petitesse qui le rappelle à plus d’humilité.











         En conclusion, on peut dire qu’il y a bien eu une révolution poppérienne qui a donné à la science de nouvelles perspectives. La conception de Popper est intéressante cependant elle est ambiguë car la but de la science n’est pas la vérité mais la recherche de la vérité. On ignore alors s’il s’agit d’une conception optimiste ou pessimiste de la science. Dans tous les cas, Popper a apporté à la philosophie des sciences une originalité dans laquelle l’erreur a sa légitimité et son rôle à jouer. Le scientifique a le droit de se tromper car en se trompant, il s’intègre encore dans le processus de la découverte scientifique. Au-delà de tout cela, Popper donne une vision neuve de l’être humain; il y a toujours une perfectibilité possible de nos théories, il y a  donc toujours une perfectibilité possible de l’être humain. Plus l’humanité avance dans les siècles et plus nos connaissances se perfectionnent et se rapprochent de la vérité. L’épistémologie poppérienne dépasse la science proprement dite puisqu’elle nous invite à une réflexion sur l’être humain.











    Bibliographie







    Sources primaires

    POPPER Karl, La logique de la découverte scientifique




    Sources secondaires

    POPPER Karl, La connaissance objective

    BOUVERESSE Renée, Karl Popper ou le rationalisme critique

    KREMER MARIETTI Angèle, conférence donnée au Centre Universitaire de Luxembourg, le 19 décembre 2002, à l'invitation de la Société luxembourgeoise de Philosophie, intitulée « L'épistémologie de Sir Karl Popper, est-elle irrésistible ? »

    Sous la direction de WAGNER Pierre, Les philosophes et la science

    ARMENGAUD Françoise, article de l’Encyclopaedia Universalis



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